Le vélo dans l’avenir de nos villes
Le Monde.fr | 06.09.2012 à 09h15
Par Alain Jund, Catherine Hervieu, Rudy L’Orphelin, Clément Rossignol
Si aujourd’hui le prix de l’essence atteint des sommets, chacun s’accorde pour reconnaître que cette évolution est durable et inexorable. Les défis de la mobilité nous imposent de changer de paradigme.
La place du vélo dans nos agglomérations constitue un levier pour la transformation de nos villes. Le vélo est non seulement un mode de déplacement essentiel, c’est également un outil d’aménagement des espaces urbains et des territoires. Et de ce point de vue, la France accuse un retard alarmant.
A titre de comparaison, quand les Français parcourent en moyenne 75 km à vélo par an, les Allemands et les Belges sont autour de 300 kilomètres. Les Danois, quand à eux, qui dépassent allègrement les 900 kilomètres.
ET POURTANT !
Pendant plus de 25 ans, ce sont nos impôts qui ont payé l’achat de nos voitures. Cela a couté (et coûte encore) des milliards aux contribuables. Souvenons-nous des balladurettes, des jupettes, des primes à l’achat et autres incitations pour l’automobile. Pendant des décennies, l’obsolescence programmée l’a été avec l’argent public. Les voitures étaient encore en état mais les primes les amenaient directement à la casse. Qu’on en juge : à lui tout seul le dernier plan national qui a pris fin en décembre 2009 comportait plus de 220 millions d’euros de primes à la casse, l’appui au crédit automobile à hauteur de 1 milliard d’euros et 300 millions d’euros pour le démarrage du fonds d’investissement ad hoc….
Cet été, le plan de soutien à l’automobile initié par Arnaud Montebourg au-delà des intentions affichée ne peut faire l’objet d’un chiffrage précis ; c’est néanmoins un »investissement » de 490 millions d’euros pour les finances publiques en 2013, « en grande partie compensé » par les malus pour les véhicules polluants.
En bout de course (sic) le gouvernement précédent avait annoncé dans un pseudo plan national vélo fin janvier une mesure phare définissant… La dimension enfin règlementaire d’un panneau attendu depuis plus de 14 mois et permettant dans nos villes, le tourne-à-droite pour les cyclistes.
Tout ça pour ça ! Aujourd’hui, le gouvernement doit prendre toute la mesure de l’importance du vélo. Il constitue une réponse pragmatique, efficace et économique à une part des défis des déplacements de nos concitoyens..
Le ministre des transports doit prendre la mesure de l’investissement des près de 500 millions d’euros que les collectivités ont consacrés en 2009, aux politiques en faveur du vélo (pistes cyclables, aménagements urbains, stationnements, services…). Le budget de l’Etat pour ces mêmes politiques s’élevait péniblement à 15 millions d’euros alors même que les recettes (principalement fiscales) liées au vélo s’élevaient à 621 millions d’euros pour le compte de l’Etat. ( Grand Angle- Economie du Vélo, parue en juillet 2009). A titre de comparaison, la diminution de 2 cents du prix de l’essence équivaut à une perte de 1 million d’euros dans le budget de l’Etat.
UN ENJEU POUR TOUS
Le vélo est un levier essentiel pour relever les défis des politiques de déplacement et d’égalité des territoires.
C’est d’abord le défi de la mobilité. En 2012, 50 % de nos déplacements de moins de deux kilomètres se font en voiture. Un tiers des écoliers va à l’école située à quelques centaines de mètres du domicile en voiture. Le droit à la ville pour tous, le droit pour chacun d’accéder à son lieu de travail, de scolarité ou de loisirspassera de plus en plus par des modes de déplacements « actifs ».
C’est aussi le défi du pouvoir d’achat. Le budget « transports » est aujourd’hui en 2e position dans le budget des ménages et des familles. L’usage régulier du vélo fait partie des réponses fortes et durables quant au pouvoir d’achat de tous nos concitoyens.
C’est également le défi de la santé. A l’heure où plus de 15 % des Français souffrent de maladies liées à l’inactivité (obésité, diabète, maladie cardio-vasculaire), le vélo au quotidien, en tous cas régulier, est source de bienfaits en terme de santé publique et ouvre un champ d’économies réelles dans le financement de la protection sociale. Face à la pollution de l’air et aux dégâts sanitaires issus des particules fines des moteurs diesel, l’usage du vélo contribue à l’amélioration nécessaire de la qualité de l’air. D’après le ministère de la santé, le vélo contribuerait à une économie annuelle de 5 milliards d’euros pou le budget de la protection sociale.
C’est le défi de l’énergie. Du pétrole inépuisable et bon marché nous sommes passés à une énergie rare et chère. L’usage du vélo facilite la transition dans les modes de déplacement tout en diminuant notablement la facture énergétique qui pèse aujourd’hui pour 45 milliards dans la balance commerciale. C’est aussi le défi de l’espace. Les aménagements pour les vélos (pistes, cheminements, stationnement…) ne requièrent que peu de notre espace, denrée de plus en plus rare dans nos villes et nos territoires. De plus ils sont peu coûteux comparativement aux budgets des infrastructures routières et autoroutières.
C’est enfin le défi du vivre ensemble car l’usage du vélo permet de développer des liens quotidiens apaisés entre usagers de l’espace urbain. Il contribue immanquablement à plus de convivialité, d’humanité, de rencontre et d’échanges.
DES PRIORITÉS STRATÉGIQUES
Pour conforter et dynamiser l’action des villes et des agglomérations en matière de développement de l’usage du vélo, l’Etat doit prendre des décisions claires sans dépenses supplémentaires.
La refonte du code de la route en code de la rue afin de sortir de cette cultureréglementaire automobile pour enfin redonner la priorité aux usagers les plus fragiles et vulnérables des espaces publics.
L’affectation aux aménagements cyclables de 10 % des budgets d’investissement consacrés aux infrastructures liées aux déplacements (routes, autoroutes, contournantes…) La mise en place de mesures fiscales incitatives, comme pour les autres modes de déplacement, pour l’achat et l’usage du vélo (trajet domicile travail). Mesures qui, de plus, structurent et confortent les filières locales de conception, production, montage et entretien des bicyclettes.
Si, à Strasbourg, 14 % des déplacements se font à vélo, record français, ce chiffre s’élève à 27 % à Karlsruhe (au pays de l’automobile) et à 32 % à Copenhague (au bord des grands froids pluvieux de la mer du Nord).
Ces mesures balisent clairement la piste que doit prendre, en France, le vélo sous toutes ses formes avec un vrai Plan National Vélo qui inverse les logiques actuelles des mobilités et déplacements. C’est l’enjeu que nous défendons localement et au plan national en tant qu’élus écologistes. Nous sommes d’ores et déjà prêts à y contribuer.
Alain Jund, adjoint au maire de Strasbourg
Catherine Hervieu, vice présidente de l’agglomération de Dijon
Rudy L’Orphelin, adjoint au maire de Caen
Clément Rossignol, vice président de la communauté urbaine de Bordeaux.