La question Ivry Ma Ville pour le mois de septembre 2016 a été posée par le groupe CCI : « En 1998, la France célébrait à travers son équipe de foot, championne du monde, l’esprit “black blanc beur” d’une nation telle qu’elle se rêvait. Qu’en est-il aujourd’hui après l’Euro 2016 ? »
« “Blacks, Blancs, Beurs”, si ça allait de soi dans la société française, on n’aurait pas besoin d’en faire un slogan », écrivait Fatou Diome dans son roman à succès Le Ventre de l’Atlantique, paru en 2001. Comme souvent, les écrivain-e-s perçoivent et formalisent le mieux les convulsions d’une époque et d’une société.
La France « black-blanc-beur » de 1998 était avant tout un slogan. Or, une politique viable ne se conduit pas à coup de slogans. En outre, il est évident que le contexte de 2016 n’est plus le même que celui de 1998. Les guerres au Moyen Orient comme les attaques terroristes ont ensanglanté ces 20 dernières années, et cela de façon accrue depuis deux ans. D’un point de vue social, les révoltes urbaines de 2005 ont sonné le glas de l’esprit de 1998. Enfin, la « peoplelisation » croissante des vedettes de la « société du spectacle » a amplifié jusqu’à l’outrance le moindre « événement » les concernant.
Plus globalement, la problématique des identités a gagné en intensité dans notre pays mais aussi en Europe. La récente campagne du Brexit a été menée sur fond de crispation identitaire, cette thématique se trouvant au moins à égalité avec les questions proprement européennes.
En France, c’est le football qui cristalise ce questionnement et le roman national semble désormais s’écrire autour du ballon rond. Dans cette perspective, Emmanuel Blanchard, chercheur et enseignant en sciences politiques, explique, dans un entretien paru le 1er juin 2016 sur le site du journal Le Monde, que : « Depuis une quinzaine d’années, il y a une lecture en termes raciaux de la société française qui s’est imposée. Cela vient avant tout de la montée de l’extrême droite mais aussi de revendications d’appartenances multiples de personnes nées et grandies en France. L’équipe de France de football est soumise, depuis le début des années 2000, à ce regard “racisé”, à la fois par des observateurs extérieurs, mais aussi, dans une certaine mesure, par les intéressés eux-mêmes. » Plus loin, il ajoute qu’« autour des jeunes joueurs assimilés à la “jeunesse des banlieues” ou/et binationaux se posent désormais des questions comme “Vont-ils chanter l’hymne national ?” ou “Ont-ils fait un choix commercial plutôt que patriotique en optant pour le maillot bleu ?” Comme si le patriotisme était encore au cœur d’une carrière footballistique… »
Par conséquent, l’équipe nationale de football joue aujourd’hui le rôle involontaire de témoin des crises et des questionnements qui traversent notre pays : bi-nationalité, méfiance vis-à-vis de l’autre, revendications identitaires. Elle témoigne alors de l’absence, ou plutôt du besoin criant d’une politique faisant sens et incluant toutes les parties de la société. Et même si l’on doit quand même se demander en quoi 11 jeunes hommes qui tapent dans un ballon devraient être représentatifs d’une nation de 65 millions d’habitant-e-s…